Yoshimitsu Yamada, à qui l’on doit plus qu’à quiconque le développement de l’aïkido aux Etats-Unis et même dans le monde est décédé le 15 janvier 2023.
Il était l’un des derniers survivants de ces élèves du fondateur, qui quittèrent le Japon pour aller diffuser l’Aïkido dans le monde entier. Il repose désormais au panthéon de la discipline auprès de ses condisciples, Tamura Shihan, Kanaï Shihan, Chiba Shihan notamment.
Des débuts difficiles et un essor formidable.
Il s’installe au New York Aikikai en 1964. Les débuts sont difficiles, plusieurs années avec peu d’élèves et pas d’argent, dormant dans un des vestiaires du dojo, vivotant en donnant des démonstrations d’Aïkido entre les combats lors des rencontres de karaté mais gardant son indépendance en refusant d’intégrer la fédération de Judo.
Au bout de quelques années il commence à réaliser son objectif de créer une communauté d’Aïkido aux Etats-Unis. Il crée la United States Aikido Federation, la Fédération Américaine d’Aïkido en 1976. Elle est devenue l’une des plus importantes organisations de ce genre aux États-Unis.
Ces premiers élèves viennent du monde de la danse et du théâtre attirés par le travail sur le mouvement et l’équilibre ; d’autres, vétérans de la seconde guerre mondiale, ont passé du temps au Japon et d’autres encore de la mouvance hippie apprécient le message quasi-spirituel de l’Aïkido. Qu’elles que furent leurs différentes raisons de venir au dojo, ils y sont restés à cause du charisme exceptionnel de Yamada Sensei.
Il possédait une incroyable et unique capacité à rassembler les gens, à fédérer et à bâtir une communauté de pratiquants.
Sa popularité venait de la façon dont il incarnait l’esprit même de l’Aïkido : pacifique, positif, solidaire avec des fondamentaux solides et stricts mais suffisamment souples pour les développer selon sa propre recherche.
Yamada Sensei a enseigné en insistant beaucoup sur l’acquisition des fondations de l’aïkido mais a toujours encouragé ses élèves à développer leur propre interprétation, leur propre style.
Il a enseigné à ne pas se battre, a encouragé et valorisé les liens entre les gens, la coopération et la communauté. Il disait souvent : l’Aïkido suit la règle des 4 F : Fairness, Flexibility, Freedom and Friendship : Équité, Souplesse, Liberté et Amitié.
Il a dispensé avec enthousiasme son enseignement dans son dojo jusqu’au bout de sa vie.
Les stages dans le monde entier.
Tout au long de sa vie il a inlassablement parcouru le monde, dispensant son enseignement lors de stages et de séminaires sur les cinq continents. Ambassadeur infatigable de la discipline, bâtisseur de ponts entre les peuples sans distinction de couleur, de religion ou de nationalité Il a prôné et incarné l’universalité de l’Aïkido.
Pourvoyeur de paix, voyageur inlassable, il a fait du Monde entier son dojo.
Des inquiétudes
Cependant il était quelque peu pessimiste pour l‘avenir.
Beaucoup de gens sont venus à l’Aïkido grâce à la popularité des films de S. Seagal, acteur et instructeur d’Aïkido. Tandis qu’il se sentait heureux de voir prospérer l’Aïkido aux États Unis et dans le Monde et croître le nombre de pratiquants, Yamada Sensei craignait que les élèves se tournent vers des styles sans substance, apprennent des mouvements fantaisistes ou flamboyants sans comprendre les principes qui sous-tendent les techniques d’Aïkido.
« Aujourd’hui, certains styles d’Aïkido semblent très fantaisistes, en particulier sur les réseaux sociaux, mais les connaisseurs peuvent voir que ce genre d’Aïkido n’a rien à l’intérieur, » disait-il à Aikido Journal en 2022, « cela semble éblouissant mais c’est vide et dénué de fondamentaux. Si vous possédez les bases et quelles sont solides alors vous pouvez être flamboyants ».
En France.
Sa personnalité et sa technique ont indéniablement influencé l’Aïkido en France et en Europe par le grand nombre de stages qu’il dirigeait avec son ami et sempaï, Tamura Sensei.
Présent chaque année pendant près de 40 ans lors des stages d’été en France, La Colle sur Loup et Lesneven notamment, il a proposé, par une étude rigoureuse des bases et par l’apprentissage de techniques simples, une approche d’un Aïkido puissant et positif, cependant subtil et élégant.
En France nombre de pratiquants ont quelque peu boudé son enseignement, pensant sa pratique trop éloignée de celle de Tamura Sensei, directeur technique de la FFAB. Mais à qui voulait faire bien l’effort de pratiquer selon ses propositions, de ressentir l’efficacité de ses techniques, une très grande et profonde similitude entre les deux « styles » apparaissait clairement.
Après le départ de Tamura Sensei, il s’est occupé, pour la FFAB, des relations avec l’Aïkikaï à Tokyo jusqu’à ce que celle-ci puisse les gérer seule.
Cependant, même s’il dirigeait de nombreux stages en France, il n’a jamais voulu prétendre à en assurer la direction technique, considérant à juste raison que la FFAB était suffisamment mature et structurée.
Derrière le maître, un homme extraordinaire.
Tous les gens qui l’ont côtoyé ont le souvenir d’un homme bienveillant, soucieux du bien-être de ses élèves et de son entourage, généreux dans sa vie autant qu’il était dans son enseignement et sa pratique.
C’était également un homme rigoureux et exigeant envers lui comme envers les autres. Une plaque gravée dans son bureau au New York Aikikai, son dojo, indique : « Do the things right and do them right away !» (Fais les choses bien et fais les tout de suite !).
Toute sa vie, il est resté fidèle à son engagement pour la promotion, la diffusion et le développement de l’Aïkido, fidèle au message d’O Sensei, fidèle à son indépendance et à sa liberté, fidèle à ses amis.
Il n’accordait pas son amitié à la légère mais il la donnait pour durer tant que le respect et la confiance demeuraient.
La maladie.
Depuis de nombreuses années, il se battait avec un certain succès contre la maladie. Il utilisait volontiers la métaphore d’un « visiteur non désiré dans son dojo, qu’il fallait chasser ». Tout au long de son combat, il a minimisé autant que possible la gravité pour ne pas inquiéter sa famille, ses amis, les pratiquants, sa communauté.
Malheureusement, la faucheuse ne se résigne pas à perdre ses clients et l’a enlevé à notre affection, à nos dojos.
Maintenant, et demain.
C’est un vide énorme et une très grande tristesse. C’est une page qui se tourne, à notre tour d’en écrire une nouvelle.
A l’instar de tous ses condisciples, aujourd’hui disparus pour la plupart, Yamada Sensei nous a montré la voie. Il revient à chaque pratiquant la responsabilité de conserver, de prendre soin et de faire fructifier son héritage.