Par Robert Le Vourc’h Shihan
CEN de la FFAB, 7ème DAN Aïkikaï
Dans l’un de ses derniers messages concernant l’Aïkido, Tamura Sensei nous livrait « Sunao ». Traduit littéralement du Japonais, Sunao signifie simplicité, sobriété, pureté. Comment s’interprète, s’exprime ce message dans la pratique quotidienne, dans le dojo comme dans la vie de tous les jours ? Comment faire vivre et ressentir cet héritage surtout chez les pratiquants plus jeunes qui n’ont pas ou peu connu le maître ?
Le concept, pour simple qu’il puisse paraitre, concerne de nombreux aspects de la pratique comme de la vie et nous amène à nous interroger sur le sens de notre recherche, sur les interactions avec les partenaires du dojo, avec les autres, avec l’autre tout simplement. Intégrer Sunao dans sa pratique et sa vie au quotidien relève sans doute d’une certaine introspection à mener avec sincérité.
Sur le tatami les gestes deviennent de plus en plus simples, les mouvements parasites disparaissent peu à peu. Maître Tamura expliquait que les techniques d’aïkido proviennent de l’utilisation du sabre, il parlait du sabre même quand il utilisait le bokken. Notre référence est donc le sabre, la technique s’effectue comme une coupe : sur un seul temps sans cassure, sans arrêt avec un placement extrêmement précis et un déplacement, relativement court, tout aussi précis.
Pratiquer avec les armes, c’est pratiquer l’Aïkido. À mains nues comme avec le bokken, le jo ou le tanto, nous étudions les fondamentaux de la discipline. Ainsi à force de travail et d’entraînement les mouvements deviennent mois complexes, les gestes plus simples et plus justes, les techniques plus épurées.
L’apprentissage des Kumi Jo, des Kumi Tachi et des Katas est utile pour se familiariser avec les armes, en améliorer leur manipulation, appréhender les distances et préciser les placements et les déplacements. Cependant la plus grande prudence est requise vis-à-vis de ce type de pratique afin d’éviter le piège d’une chorégraphie bien huilée : « je fais cela, donc tu fais ceci, alors je fais cela », où la moindre erreur peut conduire à l’accident.
Les fondamentaux sont simples en eux-mêmes mais très difficiles à acquérir… et à maitriser. Il faut travailler sans relâche pour se les approprier, pour les maîtriser, les ressentir comme une évidence en soi. Il faut reproduire sans cesse le geste ; il se simplifiera et deviendra sobre et efficace.
Yoyû, avoir du temps dans le temps
La simplicité et la sobriété des mouvements associées à un placement juste par rapport au partenaire permet de découvrir cette sensation que le temps ralentit, que l’on parvient à contrôler son partenaire dans le calme, sans précipitation. C’est Yoyû : avoir du temps dans le temps, se débarrasser du superflu pour aller à l’essentiel.
Ni tiré, ni poussé, mais dépossédé de son attaque qui lui échappe au moment où il pense saisir ou bien frapper, le partenaire est prisonnier de sa propre intention et ne peut plus retrouver son équilibre ni sa stabilité et ne peut donc pas développer une autre attaque.
Aïte et Tori
Sunao se retrouve aussi dans la relation Tori / Aïte sur le tatami. Souvent mal comprise ou mal interprétée, cette relation peut conduire à certains excès : complaisance, manque de réalité martiale, anticipation et exagération de la chute, etc.
Nous conservons en mémoire et dans la pratique le thème de la commission technique de la fédération, il y a quelques saisons : « Tori, Aïte, une même recherche, une même pratique ». Il n’y a pas de rapport de force ou d’opposition entre Tori et Aïte, il n’y a pas un « bon et un méchant ». Tori n’est pas celui qui gagne et Aïte n’est pas celui qui perd.
Il est souvent fait référence au « rôle » d’Aïte dans l’enseignement de notre pratique. C’est un peu, voire très, réducteur de limiter 50 % du temps de pratique à un… rôle. Aïte doit mettre en place la situation avec le plus de réalisme possible, sincèrement en attaquant comme s’il réalisait lui-même la technique, comme indiqué plus haut, sur un seul temps.
Ainsi il n’y a pas « un qui fait et un autre qui subit » mais deux partenaires qui étudient, recherchent ensemble avec sincérité et humilité. L’harmonie entre eux se développe et chacun profite pleinement de la pratique.
Sunao, c’est cette authenticité, cette simplicité des rapports entre les pratiquants.
Sunao s’exprime par le Reishiki
Nous pouvons appeler Reishiki l’ensemble des règles de bonne conduite, de respect et de sécurité à suivre dès l’entrée dans un dojo, lieu consacré à l’apprentissage et à la pratique des arts martiaux et de la méditation.
Cela englobe bien sûr le salut en entrant dans le dojo, en montant sur le tatami, au kamisa, à l’enseignant et au partenaire mais aussi la manière de se déplacer avec les armes, de les préparer et les poser en vue de la pratique et tout autant de connaître sa place sur le tatami, de savoir comment et où se placer, de savoir se mettre en seiza et se mettre debout, aller chercher un diplôme, etc.
C’est partie intégrante de l’apprentissage, de l’enseignement et de la pratique de la discipline, simple et sans outrance. Chacun sait et comprend le pourquoi et la manière dont il pratique le Reishiki. Nous intégrons plus facilement ce dont nous comprenons la raison, la forme reflétant le fond.
Par la répétition et le respect rigoureux de ses règles, le sens et l’importance du Reishiki, bien plus qu’un rituel ou un cérémonial, apparaissent plus claires et s’expriment simplement et logiquement dans le quotidien du pratiquant.
L’Aïkido ne se cantonne pas aux limites du tatami, de même un stage ne s’arrête pas en quittant le dojo. L’aïkido imprègne votre quotidien, vos relations avec votre famille, vos amis, votre entourage. Nous sommes loin d’un jeu de rôle qui cesserait une fois la pratique terminée.
Sans arrière-pensées de positions, de promotions ou de grades, Sunao c’est garder l’esprit pur, libre, ouvert, disponible et attentif dans la pratique, loin de toute préoccupations ou ambitions personnelles.
Robert Le Vourc’h